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Magic fingers~
29 avril 2015

CHARLOTTE ~ Foenkinos

Charlotte a été une superbe rencontre. Entre un style d'écriture insolite pour moi dans un roman, la sensibilité d'un auteur et l'intimité d'une artiste. Le roman a été beaucoup critiqué malgré ses succès, j'ai cependant essayé d'en faire un commentaire en le relisant partiellement, afin de me forger un avis personnel. Et il n'a pas changé depuis ma première lecture. 

 

« Charlotte »

 

Seul ce nom, affiché en gros caractères rouges, figure sur la première de couverture du succès de cette rentrée littéraire 2014-2015. Cette mise en forme simpliste, que l’on retrouve souvent chez les éditions Gallimard, met ici en valeur cet unique prénom, qui prend une certaine ampleur, suscite un attrait curieux, semble refléter une histoire.

C’est en effet toute une vie que récapitule le titre de ce roman. Celle de Charlotte Salomon, artiste peintre.

On connait Foenkinos notamment pour La délicatesse ou le Potentiel érotique de ma femme, Les souvenirs, ou Je vais mieux. Parmi ses treize romans édités, La délicatesse et Les souvenirs ont été adaptés cinématographiquement.

On le redécouvre dans Charlotte, où il s’essaie non seulement à un nouveau genre, la biographie, mais où il s’attache également à un sujet qui le touche, Charlotte étant pour lui une obsession. Elle le fascine, hante ses pensées et ses livres, il ne cesse d’y faire référence. J’essaie d’écrire ce livre depuis des années, confie-t-il dans plusieurs de ses interviews. Mais le sujet lui tient tellement à cœur qu’il a peur de mal faire, remet sans cesse ce projet à plus tard, ébauche quelques lignes à l’occasion, sans trouver de suite ni de manière d’écrire qui lui convienne.

 

Charlotte-Salomon-Leben-oder-Theater

 

 Une artiste « assassinée »

 

Née en 1917 à Berlin, Charlotte Foenkinos grandit auprès de son père, Albert Salomon, médecin et professeur juif, et de sa belle-mère, Paul Salomon, cantatrice, dans une vie berlinoise aisée.

Elle a neuf ans lorsque sa mère se suicide, seize ans lorsque les nazis prennent le pouvoir sur Berlin. Elle commence des études à l’école des Beaux-Arts de Berlin malgré l’appréhension de son père.

 

Foenkinos décortique sa vie, sa jeunesse, les évènements et les sentiments de la jeune fille qu’elle est 

_A8a_Salomon

alors : ses questions sur sa mère

 dont le souvenir s’efface avec le temps, le silence sur son suicide, la relation avec sa belle-mère qui lui fait découvrir le monde de la culture 

et des arts, les difficultés à se faire reconnaître dans le milieu de l’art malgré son talent qui, déjà, se développe. La menace nazie, la peur et l’attente lorsque son père est brièvement interné au camp de concentration de Sachsenhausen. Son envie, puis son besoin de peindre, sa passion pour Alfred Wolfsohn.

On se met à sa place, on s’immisce dans sa vie comme un témoin omniprésent, on apprend à la connaître au fil des pages. Le lecteur vit en même temps qu’elle la séparation avec ses parents, l’exil dans la zone libre de la France, le domaine de l’Ermitag

e, l’affaiblissement puis le suicide de sa grand-mère, la pression que lui fait vivre son grand-père, la délivrance qui accompagne la mort de celui-ci… Puis la création de son œuvre autobiographique Leben ? Oder Theater ?,  composée essentiellement de peintures.

« C’est tout ma vie », dit-elle à son médecin en lui confiant ces derniers dessins.

 Le personnage, introverti et dégageant une certaine tristesse, évolue avec les difficultés. La jeune 

femme s’affaiblit, s’attriste, mais son art se développe. A la fin du roman, elle contemple les vestiges de son passé à l’Ermitage, où elle semble en sécurité malgré l’occupation nazie. En compagnie d’Alexander Nagler, un réfugié autrichien, elle reprend quelque peu goût à la vie, tombe enceinte.

Ils sont dénoncés. Peu avant la libération, ils sont arrêtés puis déportés par le général Brunner, décrit minutieusement par Foenkinos, pervers et cruel.

Dans d’autres histoires, d’autres films, il arrive fréquemment que l’on taise l’horreur des camps, qu’on ne fasse que l’évoquer, comme si les mots ne pouvaient décrire l’horreur qui suit. Dans les adaptations [du] Journal d’Anne Franck, par exemple, on se cantonne au point de vue du journal, sans représenter ce qu'il se produit après l’arrestation des Franck et de leurs compagnons. On laisse l’imagination faire, à moins que les évènements ne se déroulent directement dans un camp comme dans La vie est belle.

Foenkinos choisit de suivre Charlotte jusqu’au bout.

Les dernières phrases du roman se passent dans les couloirs d’Auschwitz.

 

Une mise en forme « légère »

 

Ce qui frappe dans ce roman, c’est non seulement l’histoire, le sentiment que l’écrivain y transmet, mais aussi la mise en forme du texte.  

 

J’ai tenté d’écrire ce livre tant de fois.
Mais comment ?
Devais-je être présent ?
Devais-je romancer son histoire ?
Quelle forme mon obsession devait-elle prendre?
Je commençais, j’essayais, puis j’abandonnais.
Je n’arrivais pas à écrire deux phrases de suite.
Je me sentais à l’arrêt à chaque point.
Impossible d’avancer.
C’était une sensation physique, une oppression.
J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour respirer.
Alors, j’ai compris qu’il fallait l’écrire ainsi.

    Charlotte est écrit en vers.

Ecriture légère ? Ou mise en forme nécessaire à l’auteur pour exprimer, par bribes de phrases, son affection pour l’artiste, la dureté de son destin, décrire ses passions, ses difficultés ?

Le récit est coupé à chaque ligne, phrases déposées à la suite les unes des autres.

On découvre une nouvelle bribe de poésie, de cruauté, de passion à chaque ligne. Cruauté nazie, passion de Charlotte pour Wolfsohn, passion de Foenkinos pour Charlotte…

         L’écrivain ne se contente pas d’écrire une autobiographie, il écrit sa passion, sa fascination pour Charlotte.

Il entrecoupe son histoire de passages écrits à la première personne, pour décrire son ressenti pour cette artiste qui a su le toucher au plus profond de lui-même à travers son œuvre. Il s’implique, raconte son ressenti lors de la première exposition qui fut sa rencontre avec Charlotte Salomon, ses impressions lorsqu’il part à sa recherche, dans les endroits où elle a vécu. Il se confie, nous touche, se livre à elle.

 

 foenkinos-gab

Charlotte, est l’histoire d’une artiste exceptionnelle, qui a su laisser derrière elle son œuvre et sa sensibilité. C’est l’histoire d’une jeune femme de 26 ans, arrêtée parce qu’elle est née juive, assassinée alors qu’elle était enceinte.

C’est l’histoire d’un homme qui, des années plus tard, rencontre l’œuvre de cette artiste, s’y retrouve plongé, subjugué.

C’est l’histoire de cet homme qui part à la recherche de Charlotte Salomon pour la faire sortir de l’oubli. 

 

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Commentaires
W
Eh ben tu sais quoi ?<br /> <br /> J'étais pas mal sceptique concernant ce livre, dont le style me semblait un peu dur, mais tu m'as vraiment donné envie de le lire !<br /> <br /> Je vais de ce pas le rajouter à ma liste ! :D<br /> <br /> <br /> <br /> (Tes dernières phrases sont sublimes ♥)
Magic fingers~
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  • "Je choisis un avenir sans débouchés. Je vais écrire. Je suis lui, et lui, et elle. Et elle aussi. Je suis français, espagnol, anglais, je suis pas un mais plusieurs, je suis comme l'Europe, je suis un vrai bordel"
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