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Magic fingers~
5 avril 2016

On a fabriqué mon coeur en poussière

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« Tu restes avec moi ce soir ? »

Key s’arrête devant l’embrasure de la porte, la main sur la poignée. Il se retourne et la première chose qu’il voit sont ses yeux. Des yeux d’enfant apeurée, une lueur presque suppliante, cependant trop fière pour l’admettre. Son expression est figée, ses bras croisés autour de sa poitrine, comme si elle espérait protéger les battements trop irréguliers de son cœur en bataille. Il pétille la chamade, son cœur, il lui semble l’entendre pétarader jusqu’ici. Son manteau jeté sur l’épaule, sa main laissée en plan sur la poignée, il l’observe, elle, sa silhouette chétive, son débardeur trop grand et son sarouel coloré qui contraste étrangement avec la pénombre de l’appartement. Elle ressemble à une étoile colorée et fragile échouée dans un monde trop géométrique pour elle. Elle a l’air d’un oiseau partagé entre l’envie de s’envoler et de se lover entre les plumes de sa mère, déjà partie loin. Si loin. Il y a encore deux jours, il lui semblait qu’elle était une lueur venue exprès éclairer son existence entière. Il compte au-delà des secondes silencieuses qui les séparent. Cela doit faire une trentaine d’heures maintenant qu’ils ne sont pas sortis de l’appartement, comme par peur que le monde extérieur les rejette. Il veut lui tendre la main, effleurer sa joue dans un geste de tendresse qu’il ne connait que trop mal, qu’il saura horriblement maladroit, étouffe un soupir, replie ses doigts sagement contre sa cuisse. Hier encore, elle était son univers entier. Il l’avait cru, vraiment, que son visage envahirait son horizon encore des semaines, des mois, peut-être des siècles entiers. Les siècles avaient l’air de s’être repliés dans des secondes. Il fallait qu’il sorte. Qu’il la chasse de ses pensées, de son cœur, seulement quelques minutes. Laisse-moi seulement quelques minutes. Sors de ma vue, sors de ma vie, l’espace de quelques secondes. Il étouffait toujours de la passion. Lui était un tempérament étrangement, horriblement solitaire. Comme s’il n’y avait pas assez de place dans son cœur. Pourtant, ce visage-là, cette image-là, cette vision d’Anita dressée ainsi, à la fois fière et implorante, courbée de froid au fond du couloir, il savait déjà que cette image deviendrait un souvenir chaud, qui se creuserait un chemin et se loverait au fond de son cœur. Un souvenir qui ferait partie de lui, dès l’instant où il aurait franchi cette fichue porte, pour toujours. Un souvenir qui l’accompagnerait. Un souvenir qui le hanterait.

Sans lâcher la poignée, car il sait que s’il la lâche il n’aura pas la force de partir, il fait un pas vers elle et lui adresse le sourire le moins pitoyable qu’il puisse tirer de ses lèvres sèches. Son cœur se serre horriblement en pensant à ce qu’il s’apprête à faire.

-          Je n’en n’ai pas pour longtemps, dit-il.

-          Tu reviens, ce soir ?

Son regard cherche à éviter le sien mais elle le happe, traverse ses paupières, examine ses pensées, soupire et se retourne.

-          Fais ce que tu veux, lâche-t-elle, je n’attendais rien de toi de toute manière.

Son cœur vacille à ces derniers mots. Comme si elle avait tout compris, dès le départ, comme si elle savait depuis que ses lèvres avaient effleuré les siennes que la partie était perdue, qu’elle se condamnait à quelques heures inestimables hors-du-temps avant de refaire surface dans une réalité nouvelle, trop grise, trop brusque. 

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  • "Je choisis un avenir sans débouchés. Je vais écrire. Je suis lui, et lui, et elle. Et elle aussi. Je suis français, espagnol, anglais, je suis pas un mais plusieurs, je suis comme l'Europe, je suis un vrai bordel"
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